Quelques extraits
Extrait de Donc en résumé, je continue à rêver, commande d’écriture au sein de la Cie des Songes 2012
Lui- C’est l’histoire d’un garçon, pas encore homme un jeune garçon, qui vivait dans un temps très spécial, une époque révolue que nous nommerons l’an dix, période définie par la négative puisque tout y manquait, du lever-déjeuner et jusques au souper qui n’en était plus un puisque non plus de soupe et non plus de cuillère, plus de table où manger et presque plus de bouches qui pourraient réclamer puisque plus d’appétit puisque plus d’estomac puisque plus rien dedans…
Le jeune garçon vivait dans une maison, les murs s’amincissaient mais ils tenaient encore, il vivait donc dans cette maison, accompagné de ses parents qui ne ressemblaient plus, en rien à des parents puisque plus de parents puisque plus de becquée puisque plus à manger.
Un jour la maman qui n’en était plus une alla dans la forêt qui était grande et belle et qui ne manquait pas dans cette époque manquante, elle y traîna le jeune garçon qui n’était plus très jeune mais garçon tout de même, bouche ouverte sur rien, qui demandait encore quand plus rien à donner plus rien à digérer plus rien à espérer. Elle l’emmena elle le laissa, lui donna des cailloux à ras bord de son sac, lui dit pose les cailloux et quand tu reviendras tu suivras les cailloux et tu nous reviendras.
Le jeune garçon avance, sans presque plus de jambes mais avec décision ; dans cette époque de rien il était bien heureux que sa mère le guidât, qu’elle lui dît quelque chose, qu’elle l’envoie promener pour le plaisir-retour de le voir arriver.
Il marche il marche il continue il se retourne un peu mais pas trop trop souvent, il entend les oiseaux tiens il y a des oiseaux il entend les branchages tiens il y a des branchages, tiens il y a du soleil de la pluie et du vent. Dans cette époque trouée il se dit que les bois étaient riches et chanceux. Il en était heureux. Il marche il marche il continue. Il marche très longtemps c’est le jour c’est la nuit c’est la nuit c’est le jour et soudain,
il aimerait bien rentrer.
et soudain,
il a plus faim encore il aimerait bien rentrer et soudain,
il a plus froid encore il aimerait bien rentrer et soudain à ses pieds,
il voit un caillou qu’il n’a pas déposé il ne se souvient pas.
Il voit un caillou juste devant lui, il voit un caillou juste derrière lui et il ne sait plus.
Il peut revenir sur ses pas, il doit revenir sur ses pas en suivant les cailloux, pour que sa maman pour que son papa pour la joie,
alors il retourne et il suit les cailloux.
Il ne sait plus trop quel chemin-aller quel chemin-retour il rebrousse chemin.
Il marche il marche il continue. Il rebrousse chemin c’est la nuit c’est le jour.
Il n’y a plus de début aux cailloux plus de fin le début c’est la fin mais où est la maison ?
C’était en l’an dix, c’était il y a loin on dit aujourd’hui,
Qu’ou bien il est mort,
ou que sur ce rond, en rond tourne encore.
Deux extraits de Hamlet parmi d'autres, commande d'écriture au sein de la compagnie des Songes, 2018
Floue :
Le Danemark. Les Fjords du Danemark. Tu prends ta place sur la photo en noir et blanc. Les îles du Roskilde Fjord, l’Ise fjord, Stokkebjaerg skov la forêt, tu t’inscris sur le papier glacé des pages « dépaysement » ou du site « se trouver point com ». Tu peux sentir l’espace autour de toi, tu iras visiter le château de Kronborg, mais plus tard. Regarder derrière les tableaux, dans les interstices ou dans les moulures, chercher le message qui t’est adressé à travers les siècles. Pour l’instant tu dois remplir tes poumons et tes yeux. Ouvrir ton crâne au vent pour qu’il s’y engouffre, être englouti d’abord.
Te laisser une chance de réapparaître.
Tu fais défiler les pages, de recherche en recherche, de moteur en moteur, vidéos, photos, des rives aux herbes hautes, de la roche, des bateaux, des arbres et du ciel. Blanc. Tu es Hamlet d’Elseneur, et le temps n’y peut rien. Le temps s’est fendu non pas en deux mais en des milliers de morceaux distincts, une fracture de chaque instant, des débris de verre, le temps en passant ne soigne rien, il ouvre des plaies. Rien à faire. Tu es Hamlet d’Elseneur, la fracture est ouverte et le temps s’est replié, morceau sur morceau.
Ton père était le roi, il avait fait de ce monde ce qu’il est. Il était le père pour tous. Celui qui dicte les itinéraires et s’assure des cartographies. Celui qui valide et précise. Au nom de la réalité. Qui décide. Au nom de la réalité. Qui abdique. Au nom de la réalité. Celui qui a créé un monde ultra-réel pour des hommes ultra-réalistes. Et désolés.
Maintenant tu regardes autour de toi, et ni fjords ni forêts, juste des vitres et des carrelages.
Tu voudrais naître à nouveau au Danemark. Embrasser depuis le berceau la rudesse et la sauvagerie, les faire tiennes et les prolonger en te prolongeant mais tu es interrompu. Fracturé à la source. Danemark ou pas, vent ou pas.
Ophélie –
J’ai marché pendant longtemps une longue marche j’ai avancé en spirales, passant de centres en centres, en m’éloignant toujours. Je suis plus perméable de jour en jour, plus sensible aux variations. J’écris une partition ouverte, les notes rebondissent sur les parois, les barrières, les tôles. Je sens chaque frontière, je les sens toutes, quelque chose change en moi et je sais. Après le boulevard, lorsque le regard s’ouvre sur les hauts immeubles avec le chantier sur la gauche et les truelles qui jouent, c’en est une. Je reste là et je respire, et puis je perce le volet et je m’engage sur le boulevard. Je ne vois pas les voitures, je les sens, je perçois des lignes, des vitesses, des rapprochements, je gagne les grands immeubles et après eux en tournant sur ma droite, je pénètre les entrepôts. Je cherche les brèches dans les clôtures, les grilles, les murs, les visages.
Parfois je prends le temps d’habiter un passage, quelques minutes comme une éternité, je me sens appartenir, puis je vais à nouveau. J’aime ce mot, je vais. Personne ne le laisse exister seul, mais moi il me suffit tout nu. Dans aller, il y a de l’allant, je n’ai pas besoin d’autre chose. Je vais. Je vais bien.
Mais il y a une autre lisière, celle du soir qui tombe et celle-là je ne la franchis pas. J’ai fait le pacte de m’éloigner pour toujours revenir, et je m’y tiens.
Je rentre par les quartiers résidentiels où les dessins sont clairs et les lignes trop fortes pour êtres traversées, je ne traverse plus rien, je longe à nouveau. Je cherche la fantaisie cachée dans les géométries, je cherche les codes qui ouvriraient sur les grandes bâtisses. J’ai réussi une fois, une seule, la barrière s’est ouverte et je me suis trouvée nez à nez avec une jeune femme de mon âge. Elle jardinait. Des glaïeuls et des bégonias. C’était l’été. Je suis rentrée et j’ai posté : « Le miroir s’est brisé et j’étais de l’autre côté », accompagné d’une photo de Dorothea Lange.
Un extrait de Si je me défais, écrit au sein du processus de création collective des Orobanches
Plus ici rien. Je regarde. Là tu es toi. Là es encore tu un peu. Mes cognent pensées toutes ensemble la même paroi contre. Pas je n’avais le choix. Facile après de c’est refaire l’histoire. Est ce son. Ce bruit cogné d’un qui vient oiseau. M’a réveillée et j’ai regardé, j’ai pleuré t’ai vue. Que parce c’est le temps, ce que a fait de toi. Que parce avant il y avait qu’on encore voyait des oiseaux passer la vitre à travers. J’ai pleuré que parce t’avais je ne depuis tout ce temps vue. Que parce n’ai plus vu rien depuis que disparus les oiseaux. Et plus ici rien ne venait. Les ni oiseaux, les ni bourgeons, qui rien nous rappellent que n’a pas tout si toujours été silencieux. Aussi. Ni vide. Un je me jour souviens, cette il y avait voix. Autre voix. Un encore autre son. Plus certaines fréquences depuis bien longtemps mes n’entendent oreilles. Elles plus n’entendent la voix des hommes, des oiseaux ni, qui fenêtres aus se cognent, et qu’est-ce était qui le début de quoi? Qu’est-ce au débui qui a disparu? Le son, ou la possibilité de l’entendre?